Une géo-histoire du tourisme

En cette fin d’avril, si vous regardez un peu les publicités sur les affiches et dans les transports en commun, vous verrez que le temps est à la préparation des vacances : on nous vante des pays, des régions, des sites de réservation. Cette multiplication des affiches touristiques nous amène à vous proposer une géo-histoire du tourisme.

Le tourisme apparaît au XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle lorsque des aristocrates anglais font leur grand tour à travers l’Europe. C’est un voyage de plusieurs mois avec ses codes, ses rites de passage, ses lieux communs, ses villes phares et ses apprentissages. En effet, le touriste ne traverse pas seulement les frontières pour flâner et se détendre, il apprend en voyageant, c’est un tourisme d’apprentissage et d’initiation. Ainsi, des ouvrages sortent en masse pour guider les touristes : on propose les meilleurs endroits où séjourner et les itinéraires, on souligne les dangers ici et là, on décrit les monuments qu’il ne faut pas rater, etc. Il faut par exemple forcément passer par Paris pour apprendre à naviguer dans la société de cour, aller à Rome pour l’art italien, Pompéi pour les vestiges antiques. Les historiens se sont d’ailleurs rendus compte que bien souvent, ces récits de voyage se répètent et en sont donc venus à nous démontrer que ces livres ne sont pas originaux, mais sont un genre littéraire dans lequel on attend des topoï, des passages obligés. Les auteurs se copient entre eux, écrivent parfois longtemps après leur voyage, bref les touristes sont là pour montrer qu’ils font comme les autres, comme la société aristocratique impose de le faire tout en feignant une originalité et une personnalité par la rédaction d’un récit de voyage.

Un siècle plus tard, au XIXe, le tourisme se diffuse en Europe et dans toute la société, toujours avec les mêmes mécanismes et les mêmes phénomènes bien que les espaces touristiques et les activités évoluent. On cherche alors à se distinguer, mais tout en restant dans les normes sociales de la catégorie à laquelle on appartient. Les mobilités ne sont plus les mêmes, le chemin de fer ouvre des horizons plus lointains et surtout des séjours plus courts et les compagnies se font alors autant aménageurs (pour construire les nouvelles lignes) que voyagistes en proposant des thèmes et des destinations grâce à des affiches qui sont elles aussi un genre à part entière.

Très souvent dans ces publicités, la mer et la plage sont mises en avant, pas forcément pour se baigner, mais surtout pour se montrer, pour se distinguer. C’est là un point central dans l’histoire du tourisme : le touriste consomme de la distinction. Se distinguer des autres, montrer sa supériorité, sa richesse, son train de vie. Ce n’est pas pour rien qu’au milieu du XIXe siècle, les villes françaises situées au bord de la Méditerranée commencent à organiser des espaces de distinction en construisant de grandes avenues bordées de casinos et grands hôtels, à quelques mètres de la mer, sur lesquelles on se promène en affichant ses plus belles toilettes, ses plus beaux costumes. Les plus célèbres, vous les connaissez déjà…

Aujourd’hui encore le tourisme est une distinction, il suffit pour cela de lire les affiches publicitaires que vous pouvez croiser dans la rue : c’est à vous que l’on parle, venez vous faire votre avis, venez découvrir. Cet art de se distinguer, nous le connaissons tous. Lorsque l’on rentre de nos vacances, en racontant le petit coin perdu que l’on a trouvé, le restaurant local où l’on a mangé, le tourisme différent que l’on croit avoir expérimenté. Sur les publicités actuelles comme les plus anciennes, l’image et la photographie sont le meilleur moyen de se rendre compte des espaces qui sont mis en avant par les entreprises touristiques, des avantages qui sont recherchés, des activités qu’il faut proposer, parce qu’au-delà des territoires et ce qu’ils sont réellement, le touriste cherche un territoire qu’il a déjà imaginé, sur lequel il projette des attentes, des envies, voire des fantasmes très éloignés de la réalité. Ainsi, il veut se détendre et profiter des espaces « naturels » décrits et fabriqués pour lui, quitte à essentialiser et figer des paysages. S’il veut découvrir de nouvelles cultures, le dépaysement total n’est pas vraiment la norme (quoi que vanté par de nombreuses entreprises touristiques). D’abord, il faut que le touriste voyage dans un champ qu’il connaît, avec des repères qui lui sont proches. Ensuite, il veut aussi se sentir en sécurité d’où le développement de structures fermées dans certains pays ou les campagnes intensives de publicité en France pour la Tunisie après les évènements qui ont bouleversé le pays ces dernières années (révolution et attentats).

Les approches historiques et géographiques permettent donc de mieux comprendre le fonctionnement de l’activité touristique tant les attentes de ceux qui partent, que les produits auxquels ils sont confrontés. Elles offrent aussi une meilleure connaissance des espaces proposés par les voyagistes car aujourd’hui comme au XVIIIe siècle, le tourisme n’est pas idiot, il est de moins en moins une simple plage avec un cocktail de fruits et de plus en plus un voyage qui se doit aussi d’être culturel : histoire du pays, cuisine, mœurs, civilisations locales… Vendre du tourisme aujourd’hui, c’est donc forcément avoir une connaissance pointue et polyvalente sur l’histoire et la géographie des grandes destinations.